Les Halles de Schaerbeek
— Brussels —

Splash timer

Thérians

Louise Vanneste

Louise Vanneste se dirige vers la danse contemporaine après une formation en danse classique et développe, avec Rising Horses, un travail chorégraphique en lien avec des artistes issus d’autres disciplines que la danse. Cédric Dambrain pour la musique, Stéphane Broc pour la vidéo, l’artistes plasticien et éclairagiste Arnaud Gerniers ou encore Gwendoline Robin et Elise Peroï pour la performance et le textile. Ses oeuvres, Sie kommen, HOME, Black Milk, Gone in a heartbeat, Thérians et atla ont été présentées en Belgique et à l’étranger : Kunstenfestivaldesarts, Charleroi danse, Les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-saint-Denis, Théâtre de Liège, Halles de Schaerbeek, Roma europa, CDC Roubaix, l’adc Genève… Outre ses projets sur scène, Louise Vanneste développe un travail d’installations vidéo (SK, Going West, #1, …) et est engagée dans la pédagogie et la transmission depuis une dizaine d’années (ISAC, Amsterdam University, Extension/Toulouse, etc.).

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Le noir domine l’image. Seules deux figures se détachent du fond, suspendues à l’instant de la photographie. La première, une forme trapézoïdale blanche, perce une ouverture verticale dans le plan de l’image. Surface lisse diffusant de la lumière, c’est semble-t-il un écran placé à parfait angle droit avec le bord de scène. Vu en perspective, il se dresse comme un monolithe réduit à une feuille de papier. Il absorbe de moitié dans son champ de rayonnement une deuxième figure aux contours courbes, qui se dresse à sa gauche et lui expose le dos. En renvoyant la lumière, les zones claires de celle-ci dévoilent la chair de sa nuque et de ses bras : une silhouette humaine se modèle. Elle reste partiellement abandonnée à la pénombre, face cachée de l’écran-lune. Parti-pris du clair-obscur, des jeux de contraste noir & blanc, et de l’économie visuelle : un geste pictural ou photographique qui s’ouvre bientôt à la sculpture, en taillant les matières.

Libérons-nous du temps figé de l’image, entrons dans la tridimensionnalité et la durée. C’est en s’animant et en se ressaisissant du mouvement que la silhouette humaine – le danseur ? – va véritablement prendre corps et habiter l’image. Habiter les images, devenir surface de projection pour l’œil qui la regarde, la voyant s’humaniser, se transformer, s’animaliser. Observant, hiérarchisant, déduisant, puisant dans un champ iconographique connu, l’œil identifiera probablement des situations et des actions dont il est déjà informé. Si le danseur accélère le rythme, saccade le mouvement, puis l’intensifie et se met en parade, il nous conviera bientôt au cœur d’une vie animale. On lui verra presque déployer un plumage irisé reflétant la lumière. Thériantropie.

L’œil capte et détecte la direction de la lumière : celui qui regarde a donc le pouvoir de faire tableau. Mais qui rend visible, indique le chemin de la lecture, si ce n’est la lumière ? Pour autant, le danseur, en convoquant un imaginaire, et le traduisant dans son langage physique, crée les images.

On nous annonce que Therians est un solo pour deux danseurs. Et si cette surface blanche, majestueuse et irradiante, en servant d’écran au flux lumineux de la projection, était le second ? C’est à elle que l’on confère les pouvoirs de donner du relief, de creuser les zones d’ombre, d’effacer. C’est elle que l’on laisse amenuiser l’espace tangible de la boîte noire, immatérialiser les corps.

Si la lumière faiblit, elle absorbe tout, les volumes et la vision. Et que reste-t-il de l’expérience de réception, l’œil ainsi privé de son travail de déduction logique et de sa capacité d’interprétation ?

Le visible se fond dans l’invisible. L’œil se voit contraint de faire le deuil de formes déterminées, quantifiables et autonomes, d’explorer les espaces qui viennent se loger « entre ». Il doit s’en remettre aux hésitations et aux doutes, s’ouvrir aux possibles dépliés par d’autres manières de sentir.

Recevoir, c’est aussi suivre une autre trajectoire, s’aventurer sur d’autres chemins que ceux de la causalité, circuler dans le flux. C’est s’abandonner à un autre régime de perception propre à générer des états de conscience, à rassembler des images aux qualités autres, uchroniques et génératrices d’espaces intangibles. Entre persistance rétinienne, convocation du souvenir, réminiscence, c’est bientôt une invitation à déambuler au sein d’un répertoire mémoriel individuel et collectif qui est remise au spectateur.

« Spectateur » ? On ne peut plus à proprement parler « observer ». Plongeons donc dans l’obscurité, restons en éveil et tenons-nous à l’écoute de ce qui vibre. Il se pourrait bien que le son s’invite à la danse, en prenne le relai et vole aussi à la lumière son rôle de second danseur. Les conditions sont rassemblées pour nous ouvrir à un mode d’appréhension propre à l’approche animale. Magnifique occasion de transformer notre manière de percevoir le monde et d’entrer en contact avec lui.