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Sofiane Chalal : "Avant de parler des autres, il faut que je parle de moi"

Par Sylvia Dubost, journaliste

 

"Jamais je n’aurais pensé que mon physique serait la pièce maîtresse de mon parcours. Avant de monter sur scène pour des battles, j’avais déjà entendu des moqueries, alors je devais à chaque fois prouver qu’ils avaient tort. C’est un combat que je gagne à travers la danse, le mouvement, le corps." Dans cet entretien, Sofiane Chalal (danseur, chorégraphe, fondateur de la Cie Chaabane) parle de son parcours et de la création de son premier solo, Ma part d'ombre. Un spectacle qui aborde avec beaucoup de sensibilité la question du corps, du regard que nous portons sur nous-mêmes et du regard des autres. Ma part d'ombre - dont le teaser est à voir ici - associe la puissance du hip-hop et la fragilité du mime - à la frontière de la danse, du stand-up et du cinema d'animation.

 

Le titre du spectacle, Ma part d’ombre, laisse deviner une démarche très intime.

Oui… Je trouvais cela important. C’est sans doute une façon de m’assumer pleinement, mais aussi de revendiquer qu’on puisse être artiste et surtout danseur avec un corps comme le mien. Ce spectacle parle de la différence physique, du regard des gens, de celui qu’on porte sur soi-même. En dehors de la scène, on me regarde comme un gros, on me juge et on s’arrête aux apparences. Quand je suis sur scène, soudain tout change dans le regard des gens : je deviens un peu extraordinaire, comme sublimé. J’ai vécu cela tout au long de mon parcours et je trouve toujours ça fou !

La vidéo occupe une part importante dans ce spectacle : il y a votre corps sur scène et votre double sur l’écran. Que permet ce dispositif ?

J’aurais pu parler de ce sujet en étant tout simplement sur scène, et danser aurait suffi. On voit un corps qui bouge, et on voit bien qu’il n’est pas commun. Mais je voulais jouer avec ces deux personnages qui sont la seule et même personne. L’un est cet être totalement libre, assumé et en accord avec lui-même : c’est l’artiste sur scène. L’autre, c’est celui qui est jugé par son physique, que j’aimerais faire vivre et montrer comme un être « normal », avec ses failles, pour qu’on s’identifie à lui. C’est lui, cette part d’ombre avec laquelle j’essaye de dialoguer. Le faire apparaître en dessin animé est intéressant car cela atténue un peu la dureté du message et permet plus de distance.

Le texte sera également très présent, et vous avez travaillé avec l’auteure Anne Lepla.

Anne m’a posé quelques questions, m’a enregistré et on a réécrit tout ce que j’ai dit sans le dénaturer. J’aimerais raconter ces textes façon stand-up ; il n’y aura pas de tabous, je vais aborder les choses frontalement, même si je ne suis pas là comme militant. C’est évidemment un appel à la tolérance et à l’acceptation. J’ai envie de toucher les gens.

Quel rapport entretenez-vous aujourd’hui à votre corps ?

Jamais je n’aurais pensé que mon physique serait la pièce maîtresse de mon parcours. Avant de monter sur scène pour des battles, j’avais déjà entendu des moqueries, alors je devais à chaque fois prouver qu’ils avaient tort. C’est un combat que je gagne à travers la danse, le mouvement, le corps. C’est toujours le cas. Cela m’est déjà arrivé de perdre du poids, plus de 60kg. J’étais devenu « normal ». Je me sentais bien dans tous les domaines, mais il me fallait réapprendre à danser, alors que je croyais que j’y arriverais mieux. J’ai besoin de beaucoup d’énergie pour bouger mon corps, alors je ne contrôlais plus rien… Artistiquement, c’était la catastrophe alors que pour le reste, je me sentais vraiment bien.

Pourquoi est-ce important de faire ce spectacle aujourd’hui ?

J’y pense depuis pas mal de temps, mais je n’étais pas prêt. En tant que Sofiane, mais surtout artistiquement : je n’avais pas assez de bagage pour monter seul sur scène pendant une heure. L’expérience artistique et humaine me permet désormais de le faire, et je trouve cela important car notre société accorde de plus en plus de d’importance à l’apparence. J’aimerais montrer que chacun y a sa place et peut exister, quel que soit le domaine. Et puis ce sera le premier spectacle de ma compagnie, Chaabane, mon premier spectacle en tant que directeur artistique et mon premier seul en scène. C’est très important pour la suite. D’ailleurs la prochaine création sera sur le même thème, et j’aimerais mettre 10 corps de danseurs « gros », hors normes, sur scène. Mais avant de parler des autres, il faut que je parle de moi…

Votre langage chorégraphique emprunte à plusieurs arts, notamment au mime. Comment est-ce venu à vous ?

Au départ, c’était intuitif. En fait, il n’y a pas si longtemps que j’ai réalisé que je faisais du mime. Je pense que c’est inspiré par tous les films que j’ai regardés – Louis de Funès, Charlie Chaplin, Laurel et Hardy – par les comiques aussi, comme le mime Marceau mais aussi Courtemanche, très influencé par le mime lui aussi. Le corps, le visage : pour moi tout est lié, tout parle. Le mime, c’est la continuité du mouvement et de la danse à travers le visage. Que représente aujourd’hui pour vous l’univers hip hop et à quelle distance vous placez-vous de lui ? Je me considère comme un artiste danseur qui a tout son background dans la culture hip hop. Je continue à participer à des battles, c’est important pour vérifier son niveau, mais aujourd’hui je peux prendre des mouvements qui viennent de partout. En fait, je suis simplement un danseur !

Interview extraite du dossier du spectacle "Ma part d'ombre" et réalisée en 2021 par Sylvia Dubost, journaliste.