Les Halles de Schaerbeek
— Brussel —

Splash timer

Larsen C / Un mouvement caché dans l’immensité immobile

 

1892. Carl Anton Larsen (Norvège, 1860-1924) embarque pour une série d’expéditions au large du continent Antarctique. Explorateur mais aussi chasseur à la baleine, Larsen lancera la première compagnie baleinière du continent, la Compañía Argentina de Pesca, en 1904. L’histoire ne dit pas s’il a croisé Melville, ou son grand cachalot blanc. Aujourd’hui, le front de glace qui s’étend le long de la côte orientale de la péninsule Antarctique, en mer de Weddell, porte son nom. C’est la barrière de Larsen, composée de trois plateformes de glace. Larsen A, la plus petite. Larsen B, la moyenne. Larsen C, la plus grande. À elles trois, elles sont supposées freiner le mouvement des glaciers antarctiques vers l’océan.

1995. La plateforme de glace Larsen A se désintègre au milieu de l’été austral.

2000. Gerry Johansson (Suède, 1945) s’installe pour quelques mois en Antarctique sur la terre de la Reine-Maud. Cette « petite » parcelle de 2 500 000 km2 revendiquée par la Norvège en 1939. Johansson est le photographe de la beauté, de la lenteur, de la contemplation, du paysage urbain ou naturel et de ses détails en apparence insignifiants. Qu’a-t-il ramené du Continent Austral ? Des vues contrastées où le blanc de la calotte glacière vient côtoyer la roche sombre de la terre ferme. Des étendues blanches aux nuances et textures subtiles, finement rendues par l’appareil photo grand format. Antarktis, le livre qui rassemble ces images, paraît en 2014 chez Libraryman.

2002. La plateforme de glace Larsen B se désintègre à son tour. C’est comme un barrage qui cède, donnant libre cours aux nappes de glace attirées par l'océan.

2017. La plateforme de glace Larsen C donne naissance à un iceberg. Les glaciologues appellent cela un vêlage. Le bébé - baptisé A68 - fait 5 800 km2 et se met à dériver dans l’Atlantique Sud. Il se dirige lentement vers le Nord, fond petit à petit et libère des milliards de tonnes d’eau au large de l’île de Géorgie du Sud. Selon les scientifiques, tout l’écosystème de la petite île serait menacé.

2022. Christos Papadopoulos présente sa dernière pièce aux Halles de Schaerbeek. Elle s’appelle Larsen C. Papadopoulos est un chorégraphe minimaliste, sensible à l’observation des paysages et des phénomènes naturels, et à la manière dont nos perceptions varient en fonction de facteurs d’ambiance comme la lumière et le son. Papadopoulos crée des pièces « avec un vocabulaire troublant, fait de micromouvements et de tremblements, pour révéler des ensembles à la subtilité fascinante. » (Télérama) Ses danseurs « se prêtent à des mouvements que l’on dirait non humains. Des dislocations du corps qui semblent impossibles. » (Le Vif) « Un travail d’obsession et de finesse, en connexion avec les éléments » (La Libre) et, de manière subtile et indirecte, avec la question du changement climatique. Car la plateforme de glace nommée Larsen C, et son évolution récente sous l’effet du réchauffement de l’air et de l’océan, a fortement influencé le travail de la compagnie de danse : « nous en avons beaucoup parlé durant les répétitions : ce mouvement caché dans l’immensité immobile. La dérive lente des icebergs énormes dont on ne voit qu’un fragment », confie Papadopoulos à La Libre. « Je voulais un titre vraiment en lien avec le processus de création. »

Carl Anton, Gerry, Christos - tous ont été pris par les glaces du Continent Blanc.

 

Texte : Michel Reuss

Photo : Gerry Johansson, Antarktis