Les Halles de Schaerbeek
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Nach : Autour du squelette Krump

Par Laurence Kahn. Photo : Yohanne Lamoulère.

 

Nach est danseuse, chorégraphe, chercheuse et transmettrice lorsqu’elle anime des ateliers. Issue du mouvement Krump, elle s’est ensuite nourrie à d’autres sources qui ont contribué à façonner ses mouvements et sa voix. Actuellement, elle présente Elles disent, sa première création collective (aux Halles les 23 et 24 mars 2023).

 

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Krump

Nach découvre le Krump[1] en 2005 dans le documentaire Rize de David Lachapelle. Plus tard à Lyon, elle rencontre des krumpers et se lance dans la danse à 22 ans. Une passion, un passe-temps. En 2012, son master en musicologie terminé, elle travaille dans la médiation culturelle et, sur l’insistance d’un ami, se rend à une audition. Est choisie. Quitte son travail. Participe à la création d’Éloge du puissant royaume, un spectacle du chorégraphe Heddy Maalem interprété par cinq jeunes krumpers. Elle découvre le monde professionnel de la danse. Part en tournée pendant quatre ans.

Le Krump est une énergie. Brute. Dans l’urgence. Les gestes sont comme des impacts. Dans le Krump, l’ancrage dans le sol est primordial. Les pieds frappent le sol pour y puiser de la force, le langage des mains est très expressif.[2] Il y dans le corps une certaine violence qui a besoin de sortir, de s’exprimer.

Croisements

Après plusieurs années dans le mouvement Krump, Nach a besoin d’ouvrir sa danse, d’explorer d’autres mouvements. Parmi ses nombreuses découvertes : le butō lors d’une résidence de six mois au Japon, le tango en Colombie et le Kathakali en France. Ses nouveaux apprentissages modifient son corps, sa manière de bouger, de danser. C’est comme si autour du squelette Krump, elle avait de nouvelles envies - des envies de hauteur, de lignes, de suspension. Prendre le temps de la suspension. De la lenteur. Laisser arriver. Contempler les sensations.

Son cheminement s’imprègne aussi de littérature (Marguerite Duras, Sony Labou Tansi, Grisélidis Réal, Audre Lorde, Monique Wittig…), de mangas (Inio Asano, Taiyō Matsumoto, Takayuki Yamaguchi…), de dessins (Tanino Liberatore, Odilon Redon) et de cinéma (Ōshima, Chantal Akerman, Jean-Luc Godard, Kazuo Hara…). Ces artistes, ainsi que d’autres, l’accompagnent.

 

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Écrire

Après Éloge du puissant royaume, Nach interprète en 2016 le solo Nigra sum, pulchra es écrit pour elle par Heddy Maalem. C’est le moment d’un passage. Dans son corps, il y a le Krump, cette énergie, cette rage de vivre qui dit « on continue quoi qu’il arrive ». Mais il y a aussi une femme qui a été laissée de côté. Un corps de femme, une sensualité. Et Nach s’interroge alors : serai-je capable un jour d’écrire pour moi ? De créer quelque chose de plus personnel ? Son désir est de développer sa recherche en puisant à l’intérieur d’elle-même, de ses peurs, ses doutes, son histoire… Un désir si fort qu’il donne naissance à deux solos : Cellule en 2017 et Beloved Shadows en 2021.

Se lancer dans l’écriture déclenche de nouvelles questions. Où ai-je envie d’aller avec l’outil Krump ? Comment faire récit ? Comment créer à partir de ce que je sens, faire avec les outils que j’ai ?

Meute

Le dernier spectacle de Nach, Elles disent, est sa première démarche de création de groupe – une démarche complètement différente de l’écriture d’un solo. Elles sont quatre sur scène. D’autres femmes, d’autres corps, d’autres histoires par rapport à la danse. Comment appréhender leurs danses à elles ? D’abord, en s’inspirant de l’état d’esprit présent dans le Krump : créer un cadre bienveillant, un espace où chacune puisse s’exprimer.

Nach a l’impression d’appartenir à une meute. Elle a cette sensation aussi dans les laboratoires où elle danse avec d’autres femmes, pas seulement des danseuses professionnelles. Ce mot « meute » est en lien avec l’aisance présente parmi les femmes, cette possibilité de se déplacer ensemble, s’accompagner dans un même mouvement. La beauté de la naissance d’un groupe. La justesse de cet ensemble. Il y a une dimension instinctive, animale.

 

– SQUELETTE – SQUELETTE – SQUELETTE –

 

Parler

Dans ce dernier spectacle, une place est donnée à la parole. Aux paroles. Saccadées, rythmées, criées comme dans le mouvement Krump. Le but n’est pas que ce soit joli, spectaculaire, performatif. Il y a de la place pour une autodérision grinçante. Des gueules qui se tordent, des mimiques. Nach insiste : il faut que ce soit honnête. Il n’y a pas d’aspect solennel dans le fait d’entrer en scène. Quand les danseuses ont besoin de se parler, elles se parlent, directement, face au public. À l’intérieur de la proposition, il y a beaucoup d’improvisation.

C’est complexe pour des danseuses de s’emparer de leur parole. Lors du processus de création, un important travail sur la voix a été réalisé. Des mots ont surgi, des textes, des personnages qui ont parfois surpris les improvisatrices elles-mêmes. Une richesse inattendue, jaillie des profondeurs.

Dramaturgie

Comment fait-on pour utiliser cette riche matière sans se blesser ? Quelle histoire raconter à partir de cette matière ? Comment écrire ? Qu’est-ce qu’une dramaturgie ? Comment donner une place à la voix sans perdre la puissance des corps ? Comment fait-on une dramaturgie ?

Nach est en grande partie autodidacte. Elle se questionne sur le rapport à la technicité, sur les complexes qui nous font croire que nous ne sommes pas capables de réaliser ce qui nous tente. Ce qui la tente, elle, c’est de continuer ses explorations, continuer à donner une place à la voix dans ses créations, chercher comment faire coexister la voix et le corps. C’est une étape dans son parcours de chorégraphe. Une piste nouvelle. Certains lui conseillent de s’en tenir à la danse, de continuer à faire « ce qu’elle est bonne à faire ». Nach écoute. Mais son intuition la guide. Judicieusement. Ainsi que cet état d’esprit buissonnier qu’elle a choisi d’adopter : « reste au plus près de tes risques et de tes inspirations ».

 

– KRUMP – KRUMP – KRUMP –

 

[1] Le mot Krump est l'acronyme de Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise. Cette danse est née au début des années 2000 dans le quartier de Watts à Los Angeles, un quartier où des jeunes confrontés aux violences (policières, de la guerre des gangs…) ont commencé à les dénoncer à travers le corps.

[2] Pour en savoir plus à propos du Krump : https://www.telerama.fr/sortir/le-retour-en-force-du-krump-la-danse-mal-aimee-du-hip-hop,157052.php. Le film Rize de David Lachapelle est visible en deux parties sur dailymotion : https://www.dailymotion.com/video/x1dd08x