Les Halles de Schaerbeek
— Bruxelles —

Splash timer

Teenage Menopause Records & La Dimension Harrivel

 

Février 2021, Tsirihaka Harrivel, artiste circassien et musicien, sort son deuxième album, La Dimension, sur le label indépendant Teenage Menopause (France). Sur France Culture, on parle de sa musique en termes assez mystérieux, "groovebox anachronique et mysticisme sonore, ambiances claustrophobes ou onirisme nocturne, scansions messianiques et ritournelles introspectives". Voyons cela d'un peu plus près avec François Aptel - fondateur de Teenage Menopause Records avec Elzo Durt - en attendant de voir Tsirihaka Harrivel sur scène aux Halles de Schaerbeek à l'automne 2021.

 

François, tu as fondé Teenage Menopause Records (TMR), un label de musique indépendant, avec Elzo Durt. Quels sont vos profils à l'un et l'autre ?

Hello. Avec Elzo, nous avons vécu ce coup de foudre mutuel au comptoir du mythique disquaire parisien Born Bad. Nous avons immédiatement accroché autour d’esthétiques et de musiques intenses, DIY, urgentes, entourant des tentatives fulgurantes.

Elzo qu’on ne présente plus par chez vous, est illustrateur forcené, et pour ma part, je dépanne des avions, lorsque ceux ci tombent en panne … ce qui arrive assez fréquemment. Mais ceci est une autre histoire !

Tous les deux, entre Bruxelles et Paris, nous organisions des soirées, nous étions de tous les concerts et nous gravitions autour d'initiatives telles que Born Bad Records, XVIII Records, Plastic Spoons : des labels qui se sont créés à cette époque là.

Un soir de grande intelligence, sur le dancefloor de La Loco à Pigalle, inspirés par nos ainés de quelques mois, nous avons décidé de sortir le disque du groupe qui jouait devant nous : Catholic Spray. C’était y’a tout juste 10 ans, et 37 sorties !

Teenage Menopause ça évoque un changement d'apparence, de condition. Peut-être une (im)possible émancipation?

Ah oui ? Ok.

Le fameux soir, bien contents de notre idée : on l’a annoncée à tout le monde. Alors évidemment, nous avons dû trouver une identité, à l’image des labels qui nous ont marqués.

Un logo qui frappe comme les labels de Hardcore ou de Techno, un nom efficace dans plusieurs langues. S’en est suivi un cadavre exquis des plus intelligent d’où est sorti ce Teenage Menopause : antinomique, évocateur, incohérent et à la fois parfaitement clair.

Nous étions bien décidés à retarder au maximum la fin de l’adolescence.

J’espère qu’on retrouve cela dans la musique que nous défendons. Cette façon de bricoler faisant fi des logiques de « développement » si présentes dans la musique dorénavant.

Au fil des sorties, une ligne directrice se dessine. Rien n’est figé, tout est possible, au gré des rencontres et des croisements de route, des virages. Les deux albums réalisés avec Tsirihaka Harrivel illustrent bien cela.

Comment avez-vous rencontré Tsirihaka Harrivel, artiste circassien et musicien, qui a sorti La Dimension (son deuxième album) chez Teenage Menopause Records en février 2021 ?

Un jour au travail dans un immense hangar, Olivier (du groupe Heimat) m’envoie une émission de France Culture dans laquelle Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel parlent de leur travail de création. Lorsqu’on leur demande quelle musique ils écoutent en tournée entre deux représentations, ils font mention des Dreams, de Heimat, et du catalogue de Teenage Menopause … Quelle surprise, quel honneur !

Je leur adresse un message de remerciement et nous commençons à discuter et à échanger.

Fonctionnant de manière assez impulsive et au coup de cœur, j’ai peu de recul sur l’ensemble, alors c’était vraiment nouveau pour moi de m’apercevoir que ce que nous mettions en place pouvait avoir ce rayonnement.

Leur spectacle fou, GRANDE—, tournait beaucoup et avait fait sensation dans le paysage des arts de la scène, et lorsque l’idée d’en extraire un objet a surgi, ils ont émis le souhait de le faire avec nous.

Encore un paysage à découvrir, des gens ultra-créatifs, sans barrière de genre, de style, sans cloison : voilà exactement ce pourquoi nous avions créé le label. Pour permettre à ce genre d’OVNI d’exister.

Nous avons proposé Olivier (Heimat) en grand magicien pour mener la cadence de la grande bricole, épaulés par TOUT ÇA / QUE ÇA, la structure qui encadre les deux performers.

C’est un peu comme ça que l'album Victoire Chose a vu le jour. Entre la captation du spectacle et le disque-objet, à l’image des grands concept-albums des 70’s.

En écoutant La Dimension on pense à la musique pop, au punk, au rock progressif, au cinéma, aux jeux vidéo, ... C'est à la fois bricolé, précis et très libre. Quels mots utiliserais-tu pour parler de la musique de Tsirihaka Harrivel ?

Avec Elzo, nous ne sommes pas super doués pour parler de musique autrement qu’avec des onomatopées … alors à retranscrire c’est assez frustrant.

L’intention de Tsirihaka et le cœur qu’il met dans ce qu’il entreprend me touche profondément. Pour moi, sa musique est d’une telle sincérité qu’elle est indissociable de sa personne.

Lorsqu’il a été question de produire et d’extraire la musique de GRANDE—, nous arrivions après la création : le spectacle tournait déjà.

Avec La Dimension, c’est le principe inverse : Tsirihaka a composé la musique comme la trame narrative dont il a extrapolé le spectacle, extirpant les scénettes de sa proposition en partant des morceaux qui composent l’album.

La démarche est si folle que nous ne pouvions pas envisager de ne pas y participer.

J’aime l’idée de partager un bout de chemin avec les artistes. Les accompagner dans leur cheminement. Teenage Menopause n’aurait pas du tout la même physionomie sans les artistes avec lesquels nous avons grandi et progressé. Je pense à Jessica 93, Ventre De Biche, ou plus près de vous Le Prince Harry.

Teenage Menopause Records fait partie du programme Outsiders de Kiosk Radio (une web radio dont nous avons déjà parlé sur ce blog). Qu'est-ce qui t'intéresse dans cette collaboration et ce format (qui s'apparente plus au DJ set qu'à l'album) ?

Nous sommes proches de Kiosk Radio depuis leurs débuts. Les gars font un boulot formidable de curation, de sélection, d’ouverture d’esprit et de décloisonnement.

Seul bémol, le Kiosk est figé à Bruxelles, alors ils ont récemment proposé leurs outils à une myriade de labels de part le monde afin d’élargir encore plus le spectre.

Lorsque nous avons reçu la proposition de participer à Outsiders, nous avons été honorés et tout de suite enchantés de participer aux côtés de labels prescripteurs s’ils en sont. La liste est longue mais Nyégé Nyégé (Angola), Macadam Mambo (France), Mannequin (Allemagne), Svbkvlt (Shangaï), Kashual Plastik (Allemagne), Bongo Joe (Suisse), pour ne citer qu’eux, font partie de nos influences majeures.

Pour Kiosk Radio je me suis dit : poussons le truc plus loin et demandons aux outsiders de Teenage Menopause de présenter des choses. Je sollicite donc des gens dont j’aime les univers, les créations afin de proposer des contenus inédits. Jusqu’à maintenant il s’agissait de mêler influences, coups de cœur, live et expérimentations sans aucune barrière. Les prochaines émissions seront dans ce goût là.

Pour Kiosk Radio tu as invité Erwan Ha Kyoon Larcher, artiste danseur et musicien - récemment progammé aux Halles de Schaerbeek - a préparer un mix d'une heure. Y a-t-il une envie de tisser des liens étroits avec les arts de la scène ?

Effectivement. Avec Ha Kyoon, nous évoluons dans les mêmes scènes, à la croisée des concerts, des fêtes techno, des spectacles, la nuit, le jour, la nuit … parfois le jour.

Je me retrouve dans la rigueur d’Ha Kyoon, celle qu’il déploie dans ses spectacles, dans ses concerts avec Tout est Beau (avant), Ha Kyoon (maintenant). Et sa radicalité, tant dans sa danse que dans sa musique, me fascine. Ses choix semblent mesurés, ses décisions pesées et l’intensité de ses moyens d’expression m’impressionne vraiment. Son parcours croise d’ailleurs celui de Tsirihaka et Vimala, et c’est donc naturellement que je lui ai proposé un set pour Outsiders.

Chaque projet est assez unique chez Teenage Menopause et je n’ai pas de stratégie pour définir les prochaines orientations que nous prendrons. Les liens avec les arts de la scène sont inhérents à ce que nous faisons, tout comme nous revendiquons ce décloisonnement des styles musicaux. Danse, musique, illustration, écriture, les moyens d’expressions peuvent être extrêmement variés, mais finalement, nous exprimons simplement les mêmes désirs d’émancipation - pour reprendre tes mots.

Les propos de François Aptel ont été recueillis par Michel Reuss.